Quelles sont les obligations de l’employeur en matière de remboursement des frais de loyer en cas de télétravail effectué à domicile ? La réponse est différente selon qu’une place de travail est disponible au sein de l’entreprise ou non.
Arrêt du Tribunal fédéral 4A_533/2018 du 23 avril 2019
X a travaillé d’octobre 2015 à juillet 2016 pour la société C. A l’issue des rapports de travail, le collaborateur a saisi les autorités compétentes d’une demande tendant, entre autres prétentions, au versement d’une indemnité pour l’utilisation d’une pièce de son appartement comme bureau/pièce d’archives.
Le Tribunal cantonal Argovien a condamné l’employeur au versement d’un montant net de CHF 1’425.- pour l’utilisation de la pièce dans son appartement privé.
L’employeur interjette recours au Tribunal fédéral.
La question principale réside dans le fait de savoir sur quelle base doit se faire la prise en charge des frais en cas de télétravail.
Définition
Il convient de rappeler que le droit suisse ne réglemente pas spécifiquement le télétravail. Le télétravail peut toutefois être définit comme « une forme d’organisation et/ou de réalisation du travail, utilisant les technologies de l’information, dans le cadre d’un contrat ou d’une relation d’emploi, dans laquelle un travail, qui aurait également pu être réalisé dans les locaux de l’employeur, est effectué hors de ces locaux de façon régulière » (définition de l’accord cadre européen).
Dispositions applicables
Le télétravail n’est pas réglementé spécifiquement en droit suisse, de sorte que les dispositions usuelles du droit du travail sont applicables, soit notamment les art. 319ss CO ainsi que les dispositions de la loi fédérale sur le travail dans l’industrie et le commerce (LTr) et ses ordonnances d’exécution.
Les obligations des parties sont donc en principe identiques. Toutefois, le télétravail pose des problèmes pratiques, notamment concernant l’indemnisation des frais, la protection des données, la protection de la santé des collaborateurs (temps de travail, respect vie privée/vie professionnelle) ainsi que l’indemnisation des frais.
Notre analyse porte ici uniquement sur l’application de l’art. 327a CO au télétravail.
Art. 327a CO : frais en général
L’art. 327a CO stipule que l’employeur rembourse au travailleur tous les frais imposés par l’exécution du travail. Une dérogation n’est possible qu’en faveur du travailleur.
L’employeur est par conséquent tenu de fournir le matériel au collaborateur. Qu’en est-il lorsqu’il travaille à domicile ? Doit-il obligatoirement lui fournir un ordinateur portable, une ligne téléphonique, etc. ?
Si l’employeur n’a ainsi pas prévu pour ses collaborateurs un système qui leur permet de travailler tant à domicile que dans les locaux de l’entreprise, sans matériel supplémentaire, par exemple par l’abandon des postes de travail fixes et la fourniture d’un ordinateur portable, d’un téléphone mobile, le tout équipé de l’accès internet, il demeure soumis aux obligations fondées sur l’art. 327a CO.
En effet, un accord ne peut intervenir qu’à la double condition :
- qu’il intervienne dans le cadre de l’art. 327 CO et
- qu’il ne s’agisse pas de frais imposés par l’exécution du travail au sens de l’art. 327a CO.
Mais que sont précisément « les frais imposés par l’exécution du travail » ?
- Les frais supplémentaires d’électricité, de télécommunication, de matériel de bureau etc : ils doivent être considérés comme des frais supplémentaires imposés par l’exécution du travail et donc pris en charge par l’employeur.
- Le loyer : il convient de distinguer deux situations :
- Lorsque le travail est effectué exclusivement à domicile en télétravail : la pièce consacrée au télétravail et les frais qui y sont liés devraient être pris en charge par l’employeur, au même titre que si le collaborateur exerçait son activité au sein de l’entreprise.
- Lorsque le travail est effectué partiellement en télétravail à domicile : la situation paraît toutefois différente. Dans ce cas, la location d’une pièce supplémentaire n’est pas imposée par le télétravail et l’employeur ne devrait pas être tenu de prendre en charge les frais y relatif, pour autant qu’une place de travail soit disponible au sein de l’entreprise.
Fondamentalement, la question se pose de la nécessité d’engager ces frais par le travailleur dans le cas où il peut exécuter sa prestation de travail à sa place de travail dédiée chez l’employeur et qu’il choisit, par convenance personnelle, de faire du télétravail.
Dans l’arrêt précité, le Tribunal fédéral a considéré que l’art. 327a CO impose à l’employeur de participer financièrement à la location d’une pièce au domicile du salarié si l’employeur ne pouvait, comme en l’espèce, offrir au travailleur une place de travail adaptée.
En l’absence d’un accord entre les parties concernant l’indemnisation, le Tribunal fédéral a estimé que l’art. 327a CO était applicable et non l’art. 327 CO, selon lequel l’employeur fournit en principe les instruments de travail et, que si le travailleur le fait d’entente avec l’employeur, il doit être indemnisé, sauf accord ou usage contraire. Dans le cas d’espèce, le Tribunal fédéral a jugé que l’utilisation d’une pièce de l’appartement du travailleur était comparable à l’utilisation d’un véhicule privé à des fins professionnelles et par conséquent qu’une répartition des frais tenant compte de la proportion d’utilisation privée, d’une part, et de l’utilisation professionnelle d’autre paraît était admissible.
Le Tribunal fédéral a ainsi également estimé que le travailleur ait loué un logement aménagé pour ou destiné à son télétravail n’est pas une condition pour devoir être indemnisé au sens de l’art. 327a CO, dans la mesure où les frais engagés par le travailleur bénéficient indirectement à l’employeur.
Toutefois, dans l’hypothèse où l’employeur met à disposition du travailleur une place de travail adaptée et disponible au sein de l’entreprise, il convient de considérer que l’employeur n’est pas tenu à l’indemniser les frais liés à la mise à disposition d’un lieu de travail à domicile. En effet, dans cette hypothèse, le télétravail est effectué dans l’intérêt du collaborateur. L’employeur n’a par conséquent pas à assumer la prise en charge de frais supplémentaires.
Il est particulièrement important que l’employeur fixe des règles concernant les conditions d’octroi et d’exécution du télétravail.
Afin de limiter le risque de différend, nous recommandons vivement à l’employeur d’adopter un règlement concernant le télétravail, lequel devra notamment :
- Délimiter l’organisation du travail, soit notamment l’horaire de travail, les limites à respecter de manière à ce que les dispositions relatives à la durée du travail et du repos soient respectées. Les parties peuvent éventuellement prévoir les plages horaires durant lesquelles le collaborateur doit impérativement être
- Prévoir des dispositions pour veiller à la bonne intégration du collaborateur au sein de l’entreprise.
- Édicter des dispositions relatives au matériel fourni, à l’utilisation appropriée et adéquate qui doit en être faite et au maintien du matériel ;
- Fixer la prise en charge des frais et leur montant ;
- Veiller à ce que le télétravailleur soit informé de la politique d’entreprise et des dispositions applicables en matière de santé et de sécurité au travailleur ;
- Édicter des directives relatives à l’utilisation et à la surveillance des moyens informatiques. Ce document devra préciser les droits et obligations des employés, fixer les mesures de surveillance et régler les sanctions éventuelles.
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